Voyager de façon responsable et durable

Mains tenant et à travers

Photo de la plage de la Grande Échouerie, prise durant l'automne. Les teintes orangées et beiges rappellent la fin de la saison estivale, l'arrivée des grands vents.

Marie-Douce a les mains pleines de farine. Elle dit qu'un ventre heureux est un coeur rassasié. Marie-Douce a les mains pleines d'histoires.

Elles ont pétri, plié, battu, délayé, elles ont fait bouillir les écorces dans le sirop. Elles ont chemisé, séparé, équeuté, infusé, réduit la sauce jusqu'à consistance souhaitée. Elles ont mitonné, confit, doré, blanchi, versé au centre et pelé à vif.

Son spectre, son secret, c'est le sucre.

Ses mains ont inventé un langage. Elles sont magiciennes, évidement. Rafistoleuses de bonnes humeurs, elles effacent les petites peines à l'emporte-pièce. Elles apaisent les tiraillements de l'esprit et savent même raviver des braises les plus frêles lueurs.

Sur la table, un escadron de pots de verre parfaitement alignés, gueules ouvertes, attendant que l'on verse la sublime rasade. Sur le feu, la marmite creuse pesant dix livres, son chaudron de sorcière-alchimiste, sa piscine à divinité, manigance lentement ses ouvrages.

Dehors, septembre s'émiette. Elle a passé son dimanche à ramasser les fruits acidulés; là-bas, derrière les arbres pauvres qui supplient vers le sud. Lorsque Marie-Douce part emplir son sceau, plus rien n'existe que la tourbière. C'est un vieux sceau de plastique blanc, sans poignée, dont le rebord meurtri porte les marques de canines du défunt Toto. Elle le traine depuis tellement d'automnes que les voyages ont craqué le fond. Mais Marie-Douce est superstitieuse.     

Là, les robustes guirlandes sont garnies; rien que pour elle. Garnies des billes rouges d'un interminable chapelet, des perles claires d'un collier brisé dans la dune. Elles sont comme de petits ballons; si rondes et luisantes qu'elles pourraient s'élever vers le ciel. Mais elles ne lui échapperont pas. Ses mains fouillent les herbes et dégagent les plus belles.  Du pouce, elles les touchent d'abord, comme on caresse une joue. La baie est lisse et ferme. Elles chassent quelques grains de sable collés à la pelure et rassemble au fond du sceau les premières poignées. Ainsi débute la récolte. Ainsi va l'amorce à la fameuse confiture. Valsant sur les feuillages persistants, une main s'enfouit dans les branchages et remonte, serrant l'index et le majeur le long des rameaux. Les boules se détachent et roulent jusqu'à emplir sa paume.

En amont de cette cueillette nouvelle, entre ces mains sinueuses et fripées, tant de sève distillée. Tant d'aller-retours par les sentiers veineux de cette pâtissière au long court. Ses mains noueuses, ses mains biffées, constellées de sourires fondus; ses mains mouchetées comme ses livres de recettes. Et si on porte le regard au-delà, on comprend qu'elles sont comme un puit dans lequel on lance un souhait, c'est vrai.

Si Marie-Douce s'agenouille, ce n'est pas qu'elle se fatigue. Elle rend grâce à la terre. C'est une joie sans égal que de butiner à travers ses fortunes offertes. D'emprunter au rayon des bontés qui foisonnent. Les bontés qui garniront les armoires l'hiver durant. Les siennes et celles de tout ceux qu'elle aime.

Marie-Douce a les mains pleines d'amour.

Par Monalie Lapierre

Native des Îles, Monalie a grandi en territoire madelinot. Insatiable de verdure, de fleurs sauvages, de cueillette, de cuisine, elle aime écrire; jouer avec les lettres et les mots. Lire ses aventures, c'est un peu comme prendre une bonne bouffée d'air frais.

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