Les Madelinots ont une relation particulière avec leur coin de terre, une relation faite de vagues qui les y ramènent ou les en éloignent. La vie quotidienne, les études ou le travail amènent une partie d'entre nous à ne vivre les Îles qu'à temps partiel, pour de précieuses plages de temps où nous pouvons à nouveau y poser les pieds.
Je refais cette expérience depuis quelques années, maintenant, alors que j'apprends à habiter les Îles autrement, à distance. Ce que je constate, toutefois, c'est que même s'il est vrai que les Îles ont une identité particulière et difficile à reproduire, on n'arrête jamais vraiment d'y vivre. Je dirais même que pour une bonne quantité de Madelinots, la distance fait partie de notre expérience des Îles. Une majorité des gens de mon âge ont fait une partie de leur parcours scolaire à l'extérieur de l'archipel, et ont parfois poursuivi leur vie en dehors, dans ce mystérieux ailleurs qui nous intrigue tant quand on est jeune insulaire.
Le rêve de revenir est ancré dans la culture de plusieurs Madelinots, même quand les conditions nous amènent à résider en ville. Certains se rassemblent dans des quartiers, comme par exemple à Verdun, dans Montréal, où une petite communauté de Madelinots s'est tranquillement forgée et se rassemble régulièrement. Dans mes premières années de vie à Québec, mes visites récurrentes à Place Laurier étaient l'occasion de recroiser des compatriotes en visite ou résidant dans les environs. Certaines de mes amitiés les plus solides sont d'ailleurs avec des Madelinots ayant trouvé un foyer à proximité du mien.
Même avec les inconnus que je croise et reconnais au détour d'un accent ou d'une expression, une certaine connivence naturelle s'installe. Nous reconnaissons en chacun une expérience similaire, malgré nos différences.
En ce sens, on aurait tort de dire que les Îles sont coupées du monde. Elles sont, du fait de leur distance par rapport au continent, dans une relation essentielle avec le reste du monde qui l'entoure. Les îles s'adaptent, interagissent avec le monde, et par leur caractère particulier, incitent à la création de ce que j'appellerais des résidences imaginaires : celles et ceux qui ont quitté les Îles forgent, en les écrivant comme en les racontant, de nouvelles manières de les vivre. Ça ne concerne pas que les écrivains : chaque fois qu'on répond à cette question, d'où est-ce que tu viens, chaque fois qu'on parle des Îles et de notre expérience de celles-ci, on se retrouve, pour un court instant, à les habiter à nouveau.
On a parfois tendance à penser que le paysage nous définit, mais nous oublions que nous définissons aussi ce paysage. Le paysage n'est pas qu'une expérience géographique ou esthétique. C'est quelque chose que chacun contribue à créer, au fil de sa manière de le raconter. Par exemple, je constate quand j'écris que je suis, à ma manière, ce conseil de l'écrivain Ian Fleming : pour écrire un livre, disait-il, il faut trouver un lieu qu'on veut absolument quitter et écrire jusqu'à s'en échapper. J'ai, un peu à l'opposé, trouvé un lieu où je souhaite absolument revenir, et j'écris pour le revisiter.