Voyager de façon responsable et durable

Que le diable m'emporte

Bateau à la retraite dans le paysage hivernal des Îles de la Madeleine

Qui nous sommes est le fruit d'un assemblage d'histoires : notre nom, nos expressions et notre perception du monde émergent de notre entourage et du paysage dans lequel on a grandi. C'est au fil de ces récits que nous fabriquons peu à peu le nôtre. Être « un enfant des Îles », c'est donc avoir été nourri d'un imaginaire propre à celles-ci.

L'imaginaire madelinot, comme sa langue, est formé d'éléments propres à notre environnement. Dans son introduction aux Légendes des Îles de la Madeleine, le père Anselme Chiasson fait remarquer, par exemple, que les serpents, reptiles ou grenouilles, communes représentations du diable dans les contes, sont rarement employés dans nos histoires. Ces animaux étant plus rares dans la faune locale, on présente plus souvent le diable sous les traits d'un cheval, d'un boeuf, d'un chat ou d'une mystérieuse créature marine.

Ainsi, même si nos contes ont des points en commun avec ceux d'autres cultures (c'est le propre des contes d'avoir une multitude de variantes), certains éléments sont visiblement influencés par notre géographie, notre histoire, et même notre personnalité. S'intéressant aux contes répertoriés par le père Chiasson, la chercheuse Karine Vigneau observe, dans son mémoire[1], que l'humour des Madelinots ressort dans les histoires qu'ils racontent. Notre propension à rire se remarque par la quantité de contes comiques, « contes de mensonge », farces à propos des religieux et « histoires d'imbéciles » inscrits dans notre folklore. À ce propos, j'observe aussi la couleur locale dans certaines expressions particulièrement imagées pour dire la bêtise : on dira de quelqu'un, par litote, qu'il a « pas mis les lumières sur les bêtes à feu », ou qu'il est « pas assez fou pour mettre le feu, mais pas assez fin pour l'éteindre »...

On pourrait dire que le naturel des Madelinots est de ne pas prendre la vie trop au sérieux. Même le diable, dans nos histoires, est traité avec une certaine désinvolture : beaucoup de contes présentent un diable malin, prenant au mot celles et ceux qui, sans réfléchir, s'exclament « Que le diable m'emporte si... ». D'autres de nos récits présentent le diable comme une créature peu brillante, qui par exemple, essayant de créer la Terre à l'image de Dieu, ne réussit qu'à produire une petite île de roche, devenue l'île du Corps-Mort[2].

Nés des veillées et de notre besoin de briser la solitude des soirs d'hiver, le conte et la chanson sont aujourd'hui des traces tangibles de l'esprit de communauté qui habite les insulaires. L'art de la parole ressort aussi dans notre littérature, largement influencée par le conte, la mémoire et la mer. Ainsi, comme la musique, le conte fait partie de la culture des Îles : la place importante de cette pratique encore aujourd'hui en témoigne.

 


[1] Karine Vigneau, Aspects du merveilleux dans les contes des Îles-de-la-Madeleine, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2004. Accessible sur https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/17224 .
[2] Ce conte se trouve dans les Légendes des îles de la Madeleine du père Anselme Chiasson, publiées en 2004 aux éditions Planète rebelle.

Par Nathaël Molaison

Durant mes 18 premières années passées aux Îles, je ne m'étais jamais arrêté à la richesse de leurs paysages. C'est seulement au retour que j'ai commencé à comprendre pourquoi on aime tant ce lieu orné de mystère. Pourquoi on devient #fousdesiles.

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