Ça en étonnera peut-être certains, mais l'automne aux Îles est vraiment ma saison préférée. Mon tempérament introverti, et ma nature d'écrivain aussi sans doute, me font préférer la tranquillité automnale à la frénésie de l'été.
Le spectacle des foins de dune qui rougissent a été ma première (re)découverte à mon retour, et je me plais à observer le temps qui change, les cafés et lieux publics qui se vident peu à peu et le silence qui se réinstalle. J'aime le calme des saisons rouges et grises, le corps qui se recroqueville sous les couvertures, la course pour le pipi la nuit quand le thermostat descend en bas de 17 degrés Celsius (je dors dans le froid, c'est une tradition familiale).
Le brouillard s'accommode aussi à mes ambitions de poète : plonger dans un monde où tout est à faire, où les gens apparaissent et disparaissent à nouveau, au gré de ma fantaisie. Les Îles semblent aussi se préparer à la nouvelle année, et les bilans commencent, petit à petit, à s'écrire en moi.
Les zones côtières sont souvent des lieux où le brouillard aime s'installer. Le contact entre la vapeur d'eau qui flotte et la terre qui, elle, perd de sa chaleur, crée ces zones étranges où plus rien n'est visible. On sort le nez dehors et on a l'impression de marcher dans un nuage. Pour un écrivain, c'est un territoire fertile : les idées peuvent voyager plus facilement. Même les sons semblent être étouffés, distants, lointains. On oublie pour un moment les obligations de la terre, le quotidien, l'ordinaire, les responsabilités. On s'invite au banquet de la nature, se rappelant ceux et celles qui y ont d'abord posé le pied.
Mais cette nature obsédante, qui me poursuit jusque dans mon écriture, n'a pas que du bon. La brume, lorsque trop épaisse, rend les voyages menaçants. L'humidité caractéristique de nos îles, comme leur petite taille, les rendent sensibles à toute forme de changement climatique. Nous sommes aux premières loges pour en observer les ravages sur les dunes, les routes, les maisons et ce que l'humain construit. C'est un prix parfois cher à payer pour la poésie d'un paysage ou la beauté d'un espace.
On apprend très tôt l'impermanence des choses, parce que celles-ci disparaissent de notre champ de vision. On ne connaît plus les mêmes hivers, les mêmes étés qu'on a connus avant. Le devoir du Madelinot natif comme d'adoption, je crois, est de prendre conscience de ces changements, et d'oeuvrer à en réduire les causes. Ainsi, avec les années, les Îles ont multiplié les initiatives populaires pour protéger le territoire, qu'il soit physique ou spirituel. Des actions concrètes pour que les choses changent et préserver ce qui est plus précieux que nous.
La poésie est parfois dure, parfois crue comme la nature. Mais comme elle, elle nous confronte pour nous amener à bouger, à réagir et à voir. Ce que je nous souhaite, c'est une poésie de gestes, une poésie d'actions qui nous protège dans le brouillard.