Et voilà le mois de mai avec ses parfums de mer, son ciel plus clair que d'habitude et le renard qui pointe ses oreilles sur le bord de la falaise. Deux mois.
C'est décidé, nous ferons notre premier jardin. Nous avons installé les semis dans la chambre d'amis et tous les jours je vais voir s'il y a du nouveau. Les poireaux ont bien poussé mais les betteraves boudent. Je ne savais pas qu'un jour j'aurais un sentiment de béatitude à voir de la rhubarbe miniature et l'envie d'embrasser de futurs brocolis.
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J'ai vu mon premier masqué l'autre jour. Je le détaille discrètement en essayant de savoir c'est qui. Ça m'a pris quelques secondes pour réaliser que mon cerveau confondait Mi-Carême et pandémie.
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Il y a des gens qui se surpassent en ces temps difficiles. On dit même que les humains se révèlent et que leurs accomplissements en disent beaucoup sur eux. Depuis qu'on covide, mes déplacements sont réduits au minimum et je ne sors plus que pour les besoins essentiels. Un jour en avril, je n'avais pas envie de sortir et j'ai réussi à fabriquer de la mayo et de la relish à l'aide d'un pot de cornichons qui traînait dans l'armoire. Depuis je me demande ce que ça dit de moi.
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Dans les commerces, les flèches sur le plancher deviennent compliquées quand tu dois revenir sur tes pas. Au magasin, on est trois clientes dans une rangée. La première décide qu'elle recule avec son gros panier, elle a oublié quelque chose. Elle en parle à la deuxième qui recule sans rien dire et moi je suis juste derrière elle.
- Madame, madame attention... que je lui dis.
- Ah excuse-moi, j'avais pas regardé dans mon miroir.
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Depuis mars, les Madelinots développent un sentiment encore plus fort pour l'achat local. Les entrepreneurs se virent de bord pour s'adapter en mode covid : commande et paiement à distance, livraison gratuite sur la galerie ou encore ce commerce où on passe par la fenêtre de la porte -une craque- la commande, le paiement et la porte s'ouvre pour la marchandise. Restaurants et cafés se réinventent aussi en offrant des repas chauds ou à cuire chez-soi. Comme des boîtes de bonheur à emporter.
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Dans la chambre des semis. Ils sont beaux ! Je les regarde puis je me surprends à dire tout haut «sont donc ben collés eux autres...» Je crois avoir développé une obsession.
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Je recherche des expressions de remplacement pour «distanciation sociale». Par exemple, comment dire à quelqu'un qu'il est trop près ? Pour les amateurs de petits fruits « je pense qu'on est dans la même bouillée (ou talle sociale).» Je propose « pourrais-tu t'amarrer un petit brin plus loin ? » aux navigateurs. Et un dernier en mode construction « Là, t'es rendu dans le tambour, ça te dérangerait t'y de reculer sur la galerie... ? »
Des mots pour la belle saison, quand on sortira de nos cocons.