- Brigitte, les établissements des Îles nous ont contactés, ils ont besoin d'une orthophoniste en dépannage... Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait t'intéresser?
Ma patronne du CHU de Québec a sûrement vu mes yeux s'écarquiller à cette proposition. Mais si elle avait pu entrer dans ma tête à ce moment précis, elle aurait vu se déployer en moi le souvenir lumineux de la plage de la Martinique, elle aurait entendu mon coeur battre au rythme des vagues déposant à mes pieds des dollars de sable, ces précieux trésors rapportés de vacances familiales, à l'été de mes 8 ans...
- Jusqu'à ce qu'une orthophoniste accepte une permanence, les établissements aimeraient que les services soient offerts une semaine à tous les trois mois. Leur bureau est situé à Fatima.
Fatima... Le carrousel des souvenirs se remit à tourner et me ramena à mes 23 ans, alors que j'avais rejoint les Îles en avion avec mon pack-sac, bien décidée à les explorer sur le pouce cette fois, au gré du vent et des rencontres du moment. Au deuxième jour de mon séjour, la providence m'avait fait monter dans la voiture d'un égyptien installé aux Îles depuis plusieurs années, qui après quelques minutes d'échange alchimique, m'avait proposé :
- J'ai un petit chalet que je pourrais te prêter, à Fatima...
Avais-je bien entendu? Assurément, car en un tournemain, nous étions rendus sur les caps, tout près de la Belle Anse. Alors que je me pinçais sur le sentier qui menait à sa maisonnette, le soleil couchant avivait le ciel de ses lueurs orangées. J'ai eu l'immense privilège d'habiter cette cabane magique le reste de mon séjour. Je me souviens de la douceur des après-midis sur les plages de sable doré, de la fraîcheur des baignades au pied des falaises, des buttes vert tendre... Et d'une fête d'anniversaire improvisée par mes voisins, les Chevarie, le soir du Noël des campeurs, moi qui suis née un 25 décembre... ce gâteau renversé aux bleuets sauvages, cueillis de leurs mains, dégusté au lever du soleil, après une nuit à chanter autour d'un feu... Vous comprendrez que le lendemain, j'ai téléphoné mon employeur de l'époque pour lui faire part d'un «contretemps » : j'allais revenir trois jours plus tard que prévu au travail.
- En effet, c'est une offre qui pourrait m'intéresser... Ai-je finalement répondu à ma patronne, avec des réminiscences de bleuets sauvages sur la langue et un sourire qui en disait long.
Alors pendant un an, j'ai habité, vécu, aimé follement les Îles, une semaine aux trois mois. Le processus de séduction étant alors bien enclenché entre elles et moi, j'ai accepté une permanence, me disant que j'essaierais pendant un an... l'aventure se poursuit maintenant depuis plus de 20 ans. J'ai troqué la cabane pour une maison sur le bord de la mer, rencontré un Madelinot aux yeux de mer, eu deux filles fabuleuses. Et l'histoire se continue, entre les Îles et moi, toujours aussi belles et envoûtantes.