Je dis souvent que les Îles forcent à l'authenticité, ou à tout le moins, à ne pas faire semblant. Venir d'une place où on connaît un peu tout le monde a cette conséquence qu'il est difficile de se « prendre pour un autre », en tout cas pas à long terme.
C'est aussi le son de cloche que j'ai reçu de plusieurs néo-Madelinots venus s'installer en dehors de la saison touristique, quand les Îles se calment et que le silence revient dans les maisons. Il faut une bonne dose de courage pour se retrouver ainsi face à soi. Parce que si les Madelinots sont souvent des fêteux, ils ont aussi besoin de tranquillité de temps en temps. C'est souvent l'automne qui amène ça, après la folie des vacances.
Habiter une région touristique, c'est aussi cette réalité-là : quand les visiteurs repartent, on se retranche un peu, on prend son temps et on revient à la vie normale. La visite est partie, il est temps de sortir les pantoufles ou le tricot, de se mettre à jour sur nos émissions préférées et de se préparer distraitement pour l'hiver.
Ainsi, plusieurs de mes amis et connaissances ayant prolongé leur séjour aux Îles me rapportent un certain choc devant ce soudain silence. Les Îles, si animées pourtant, sont tout à coup calmes et paisibles. Inévitablement, on se retrouve seul, au moins le temps de s'acclimater à la vie et aux gens de la place. C'est ce que j'appelle le moment de vérité parce que vivre aux Îles, comme chaque déracinement, force à s'assoir un moment avec soi. C'est confrontant, parfois inconfortable, parfois gratifiant. Mais c'est surtout nécessaire. Vivre ici nécessite que l'on connaisse sa propre histoire.
Mon retour aux Îles, s'il a été naturel, n'a pas nécessairement été facile. Revenant ici, j'ai dû faire la paix avec mon histoire, avec qui je suis et d'où je viens. Et surtout, j'ai dû me poser la vraie question à savoir où je m'en vais. Pas que les gens soient plus inquisiteurs qu'ailleurs. Mais la nature, cette mère impétueuse, nous confronte à la vérité. La relation des Madelinots avec la nature est étroite, mais aussi tendue. Plus qu'ailleurs ils ressentent les effets de ses changements, et l'impact de sa colère. Plus qu'ailleurs ils constatent qu'elle est (et sera toujours) plus grande que nous.
Je suis reconnaissant envers les Îles, de ce qu'elles m'ont apporté. Aller à la rencontre des gens d'ici, c'est aussi aller à sa propre rencontre. Devant des gens si humbles et francs, il est difficile de se défiler. Les gens d'ici ne sont pas parfaits, mais ils ont cette qualité-là : beaucoup d'entre eux ont la vérité inscrite au visage, comme un rappel de la nature. Quand on est conscient de la force des éléments - et combien parmi nous ont dû s'y confronter -, c'est plus difficile de jouer les importants.
Vivre aux Îles, ça a été ça pour moi, et je sens que ce le sera encore pour plein d'autres.