Voyager de façon responsable et durable

Lettre à Lucie

Paysage d'hiver sur l'île de Havre Aubert

Mon amie,

Quand je suis venu m'installer aux Îles, y'a bientôt trois ans, que je t'ai rencontrée au-dessus d'une fournée de muffins, sur le chemin du Sable, j'ai menti. J'ai dit : « Mon nom c'est Benjamin. » C'est faux. Je m'appelle Jasmin. Du moins c'est comme ça que Lionel, mon garagiste, à Bassin, il m'appelle maintenant. Je sais pas pourquoi. Même son collègue François me donne du Jasmin. Peut-être qu'ils me comprennent mal? C'est correct. Je ne les comprends pas toujours bien non plus. On ne s'en tient pas rigueur. J'oserais dire que c'est rien qu'un peu plus de beauté dans nos vies, au fond. Tsé je serais menteur, encore, de faire comme si ça me dérangeait. Dès mon arrivée, en octobre 2015, je t'en ai parlé souvent, de comment j'aimais l'entendre, au garage, l'accent si chantant et beau des Madelinots, quand les pompistes me demandaient : « Le plein? », et que ça sonnait comme « Le plan? ». Je te disais que je me serais étendu sur le hood de mon auto et me serais laisser parler si joliment à l'oreille pendant des heures.

L'errance est aussi un paysTrois ans, bientôt, que j'ai débarqué ici.

Marlène, la propriétaire de ma première maison louée à l'Anse-à-la-Cabane, est devenue une amie et féroce partenaire de soirées de cartes. On joue au Trou d'cul. Des fois, elle se tourne vers moi, me lance (moitié une question, moitié une injonction) : « Mais là... T'es aux Îles pour la vie, là? »

My my... C'est long, la vie. Et si j'allais expérimenter d'autres ailleurs? Je dirais que la seule « chose » qui me manque vraiment, ici, c'est toi, repartie vivre la vie des Cantons de l'Est. Après tout, t'étais avec moi pendant mes débuts aux Îles, à te faire dire aussi : « Faut que ça t'tente, hein, de passer l'hiver au Havre... » ; à ronger ton frein, en février, au sortir du cinéma avec une envie de café vanille française et d'une longue jasette, sauf qu'ils sont plutôt rares les cafés vingt-quatre heures, dans l'boutte... Mais on l'a faite, notre hiver. On a quand même trouvé un resto qui est ouvert tard, lui, et bien avant la mise à l'eau pour la pêche au homard, on avait mangé notre gros quota de frites.


Depuis, je bouge pas. Je suis encore là. Les hivers calés dans nos maisons, avec les cartes à jouer, le vent qui fait peur, qu'il faut bien aimer, lui aussi... Les printemps qui déclament leurs promesses dans la brume... puis les étés absolus déjà effleurés par l'automne, les ombres et la lumière sur les buttes dans les fins d'après-midis... Ils sont tous comme des voyages, des ailleurs, mais tout près. Où tout est à faire, à rencontrer. Chaque instant, tout peut venir au monde. Et si j'arrête au garage, partout, encore aujourd'hui, la même beauté dans les chants. Je dois être un peu amoureux... Alors, Jasmin ou Benjamin, est-ce que c'est important? Devant tout ce qu'il y a à aimer aux Îles, je pense bien pouvoir juste faire voeu d'humilité.

Grosse colle.

Par Benjamin Pradet

Je suis né et j'ai grandi à Saint-Roch-des-Aulnaies, puis j'ai vécu longtemps à Montréal. J'étais venu aux Îles en me disant : «Je vais essayer un an.» Mais comme il n'y avait que de bonnes raisons pour rester, et aucune pour repartir... Depuis, j'écris mes petites écritures, j'arpente le Chemin des Arpenteurs, et je laisse la vie continuer.

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