Vivre sur une île, c'est être confronté à une réelle frontière océane. Inévitablement, le chemin s'arrête à une plage, à une falaise, à un bord de mer. Certains jours ça a un effet un peu limitant. Mais tantôt c'est aussi rassurant. On se sent comme protégé de quelque chose.
À une certaine saison, la barrière océane disparaît. Encore cette année, en mars, les Îles se figent dans la glace. Maintenant, à l'ouest, on peut marcher des heures sur la mer.
On se dit que l'insularité n'est plus. On s'imagine un pont vers les continents.
J'ai un rendez-vous annuel au mois de mars. Il y a un jour particulier où les débarris et les bouscueils se détachent. Dans la mer, il y a des dizaines de petits icebergs qui se promènent. Le Golfe est glacial, le calme est plat. Je sors mes kayaks.
Le kayak en hiver, c'est quand même un minimum de préparation - comprenez-moi bien, il faut toujours être alerte et prendre les précautions nécessaires avant n'importe quelle sortie en mer. Ces précautions comprennent notamment la formation et l'expérience, les équipements de sécurité, l'habillement adéquat et le respect de la réglementation. Le plus long est de déloger les embarcations de sous la neige et de les fixer au toit de la voiture. Le plus important est de trouver l'endroit idéal pour aller à l'eau. Le soleil est encore bien haut.
C'est le temps d'explorer les abords de l'archipel à la hauteur des loups-marins. Le point de vue sur les Îles est saisissant. Les falaises apparaissent véritablement géantes. Et juste en bas, le reflet des maisons colorées côtoie les morceaux d'océan. La lumière est partout. Le soleil est capturé par les monticules de glace et vert bleu de la mer laisse passer les rayons de fin de journée. On remarque assez rapidement l'effet de l'érosion sur les caps de grès rouge. En quelques mois, le paysage a déjà changé.
Je pagaie entre les gros morceaux blancs qui ont toutes sortes d'allure. Les petits se révèlent parfois être la pointe de l'iceberg. La partie submergée, elle, est démesurée. On se sent petit. Ça donne une bonne dose d'humilité !
En kayak d'hiver, tout est calme, mais pourtant, discrètement, tout bouge. En circulant dans les saignées d'eau, parfois, la glace se déplace. Les voies se ferment. Il faut alors se frayer un nouveau chemin ou simplement grimper le mur de glace pour le traverser et revenir du bord de la terre ferme.
Les jours rallongent. Parfois un courant d'air froid me traverse. Je vois la mer s'élargir à mesure que j'avance. En reprenant mon souffle, j'ai l'impression de déchiffrer un peu mieux le Golfe qui entoure mes Îles et de le respirer à grande bouffée. Mais le Golfe d'hiver, on le connait encore très peu. Le Saint-Laurent parle d'immensité, de grands voyages, de tragédies. C'est une leçon de courage. Un défi d'apprivoiser.
Le jour commence à s'éteindre sur cette randonnée. Le soleil s'en va ailleurs, sans artifice. L'Étang-du-Nord s'enveloppe d'une lumière bleue. Un bleu comme celui d'une baleine bleue. Plus loin, les fenêtres des maisons sont chaudes. Un peu comme le serait le regard d'un grand mammifère. Les ombres dansent dans le canton. On se croirait dans l'océan.
C'est le temps de rentrer !